Phrase-résumée de « Toyota Kata » : De nombreux experts et praticiens du Lean se focalisent sur les outils et les aspects techniques du modèle de Toyota et délaissent la partie la plus importante : sa philosophie et son mode de management. L’auteur met le projecteur sur la partie invisible du modèle de Toyota : le développement d’habitudes, « les kata » d’amélioration et de coaching, et nous apprend comment mieux manager en augmentant la capacité et le pouvoir de chaque employé à agir en améliorant les conditions de son travail et ses résultats.
De Mike Rother, 400 pages, publié en Septembre 2009.
Toyota Kata – le résumé
Il y a des livres qui traînent comme ça depuis longtemps, parfois des mois voire des années, sur une étagère, au fin fond d’une bibliothèque, effacés de nos mémoires ou ensevelis sous d’autres livres ou papiers, et qui d’un seul coup se rappellent à notre bon souvenir. Au moment où ils réapparaissent, on se rend compte qu’ils étaient toujours là quelque part, une idée en veille dans notre subconscient, pas complètement éteinte, attendant simplement qu’un événement, une expérience, une parole la réactive.
Je suis retombé sur ce livre par hasard en feuilletant ma bibliothèque Kindle. Et là, ça fait tilt : « Comment les organisations quelque soit leur industrie peuvent évoluer d’un management par objectifs démodé vers une approche complètement différente et meilleure ? », « Manager les gens pour améliorer, s’adapter et obtenir de meilleurs résultats ».
Surtout ce qui me frappe est l’absence du mot Lean : on parle bien de Management.
Première Partie – La Situation
On pense souvent que l’entreprise Toyota est couronnée de succès depuis si longtemps grâce aux méthodes et outils Lean qu’elle a développés et réussi à mettre en œuvre grâce à une main d’œuvre disciplinée. Au-delà de cette vision superficielle, l’entreprise Toyota perdure et continue d’exceller pour deux raisons :
- elle considère que pour subsister et ne pas dégrader ses performances, elle doit continuer à aller de l’avant et s’améliorer,
- elle envisage son capital humain comme sa principale richesse et la faculté de ses employés à agir, à s’adapter et à améliorer les processus comme son principal différenciateur.
La capacité de Toyota à se réinventer perpétuellement et à s’améliorer en continu tient à la capacité de ses employés à comprendre les situations et les problèmes qui apparaissent et à développer des solutions intelligentes. Toyota tient compte du fait que les êtres humains possèdent de fabuleuses capacités d’apprentissage, de création et de résolution de problème, et considère que sa force réside dans la capacité de ses employés à mener des actions d’amélioration à leur niveau.
De ce point de vue, il est plus stratégique de développer la capacité de chaque individu et de chaque équipe à réaliser des petites actions d’amélioration de manière systématique, méthodique et quotidienne, que de donner les clés de l’amélioration à un petit groupe qui se focaliserait sur de gros projets ou des chantiers d’amélioration ponctuels.
L’objectif est alors d’entraîner chaque employé à adopter des routines comportementales et des habitudes destinées à optimiser leur capacité à faire face aux situations imprévisibles et incertaines qui surgissent au quotidien dans leur travail opérationnel. C’est cette faculté à entraîner ses employés à se charger efficacement et sereinement de la résolution de problème au niveau de chaque poste de travail et de chaque étape du processus que Toyota considère comme son principal avantage concurrentiel.
Deuxième Partie – Connais-toi toi-même
Dans toute la suite de l’ouvrage, l’auteur présente le mode de résolution de problème et de management en utilisant le terme de Kata emprunté au japonais et principalement utilisé dans le domaine des arts martiaux. Dans le contexte du management de Toyota, le kata est considéré à la fois comme une méthode, une routine, un motif, une séquence d’actions prédéfinies qui permet d’agir en toute circonstance malgré des conditions extérieures imprévisibles.
Le kata d’amélioration est le cadre qui sert de base aux échanges entre les employés et les responsables d’équipe. L’objectif du responsable d’équipe est d’obtenir les suggestions d’amélioration des employés et de les affiner avec eux en utilisant une relation de mentorat. On est bien au-delà de la simple boîte à idée.
A Toyota, manager et améliorer ne font qu’un. Contrairement à beaucoup d’autres entreprises qui considèrent l’amélioration comme une activité séparée, le kata d’amélioration représente l’élément clé du management des équipes.
Le mode de management de Toyota diffère grandement du management par objectifs encore en vigueur dans de nombreuses entreprises. Au lieu de se focaliser sur les résultats à atteindre, les employés de Toyota se concentrent sur la manière de réaliser leurs tâches et gérer les détails de leur processus selon les meilleures conditions possibles.
Troisième Partie – Le Kata d’Amélioration : Comment Toyota s’améliore en continu
Etablir une condition cible
L’utilisation du système Kanban illustre la différence de perception et de management entre le modèle Toyota et les entreprises qui restent dans un mode de management plus traditionnel. Le véritable objectif du Kanban est de retirer des cartes Kanban. Si le système Kanban semble ne pas fonctionner, c’est qu’il commence en fait à porter ses fruits selon la vision Toyota, car il révèle un obstacle sur lequel travailler pour améliorer le processus. Pour cette raison, lorsqu’une boucle Kanban fonctionne très bien depuis une certaine période, un manager est amené à retirer une carte Kanban pour faire apparaître de nouveaux problèmes à la surface et amener tout le monde à travailler pour rétablir les conditions cibles de réalisation du processus.
Il est important de distinguer cible et condition cible. La cible est le résultat recherché, la condition cible est la manière souhaitée de réaliser les opérations pour atteindre le résultat souhaité. Notre habitude à réfléchir en termes de résultats à atteindre et notre réflexe de management par objectifs rend cette nuance parfois subtile et difficile à appréhender de prime abord.
Les objectifs chiffrés et KPIs ont leur importance aussi dans le modèle Toyota, mais l’amélioration des conditions de réalisation des processus par le kata d’amélioration est la priorité.
D’une certaine manière l’approche utilisée par le kata d’amélioration ressemble en de nombreux points aux méthodes utilisées en gestion de crise. Pour gérer une crise il est très important de rassembler les efforts de l’équipe pour se focaliser sur les conditions cibles afin de définir un plan de continuité d’activités. Suite à une crise, le travail est organisé en cycles rapides pour ajuster rapidement la situation aux nouveaux développements et apprentissages jusqu’à retrouver une situation et des conditions normales.
Le but recherché de l’application du kata d’amélioration n’est pas de créer des crises et espérer que le personnel trouvera une solution pour la gérer. L’objectif est plutôt d’apprendre au personnel de toute l’organisation une méthode, une routine, des habitudes comportementales, ces mêmes habitudes qui permettent de bien gérer une crise en alignant les personnes et les fonctions avec la philosophie et la vision de l’organisation.
Une condition cible doit représenter un challenge qui permet à un processus d’aller au-delà de ses capacités actuelles. Il est important de trouver le bon compromis entre une condition cible irréalisable et une nouvelle condition évidente qui apporte finalement peu de changement. La condition cible doit rester réalisable sans que l’on sache de manière évidente comment s’y prendre pour l’atteindre. Le sentiment d’avoir réussi une avancée en atteignant la condition cible permet alors d’augmenter la motivation et le désir des équipes et du personnel à prendre en main de nouveaux défis.
La standardisation du travail et la fiche de travail standard sont des éléments importants pour mettre en place la réflexion systématique basée sur les conditions cibles. Le but dans la philosophie de Toyota est d’avoir un point de référence sur la manière de réaliser le travail plutôt qu’un moyen pour contrôler et discipliner les employés. Toute anomalie perçue au moment de comparer le processus et sa description est une opportunité d’appliquer le kata d’amélioration dans le but d’atteindre la condition cible. L’existence d’une description du travail standard permet concrètement de se poser la question suivante à tout moment : « Comment pouvons-nous faire pour que ce processus se réalise comme décrit dans le standard ?».
Quel horizon donner à une condition cible ? Il est possible de se fixer des objectifs court-terme, de l’ordre d’une à quelques semaines par exemple. C’est l’horizon idéal pour commencer à apprendre le kata d’amélioration aux équipes et à soi-même en temps que coach. On peut ensuite viser de nouvelles conditions plus ambitieuses pour un processus entier sur des horizons de plusieurs mois, un maximum de trois mois paraissant la limite acceptable à partir de laquelle il est préférable de diviser la condition cible en plusieurs étapes.
Par quelle étape commencer ? Il est surtout important dans la philosophie de Toyota et du kata d’amélioration de faire un premier pas, quel qu’il soit, pour démarrer le processus d’apprentissage et d’amélioration. Le but est d’éviter le classique syndrome du « Pareto paralysis » qui retarde l’amélioration en faisant passer du temps à l’équipe à débattre du plus gros problème à résoudre et de la « bonne prochaine étape ».
Il est important aussi de comprendre que cette première étape n’a pas besoin d’être la mise en place d’une solution de correction de l’anomalie observée. Souvent, la meilleure première étape est d’aller collecter des informations et des données par l’observation incessante du processus jusqu’à en avoir une bonne compréhension. L’idéal est alors de demander à la même personne qui a conduit l’analyse de définir la prochaine étape et ainsi éviter les débats en groupe sur la « prochaine bonne étape », l’idée étant de commencer la démarche en mode expérimental et de voir au fur et à mesure les développements.
Adaptation et résolution de problème : évoluer vers la condition cible
Toyota considère que les « problèmes sont des bijoux ». En nous montrant les limites de nos systèmes, ils nous montrent le chemin vers l’atteinte de la condition cible. Il y a une différence fondamentale avec la manière d’appréhender les problèmes de nombreux managers. Dans le mode de fonctionnement traditionnel, l’objectif est de tout faire pour que les processus se déroulent sans anomalie.
Dans l’approche Toyota, des expériences sont réalisées pour faire apparaître ce qui ne fonctionne pas comme prévu et ce qui doit être fait pour rétablir la situation. La question à se poser n’est plus : « est-ce que cela va fonctionner », mais plutôt : « voyons ce que nous devons faire pour que cela fonctionne ».
Dans ce mode de pensée, ne pas avoir de problème est un problème car la conséquence est l’immobilisme. Le management selon Toyota cherche à utiliser le potentiel d’amélioration des petits problèmes qui peuvent apparaître pour faire progresser l’organisation avant qu’ils ne puissent affecter le client externe. L’idée est d’apprendre des anomalies et des échecs au lieu de les stigmatiser.
On voit alors pourquoi il est indispensable d’adopter une approche positive à la survenue de problèmes et de ne pas adopter une attitude culpabilisante pour que le kata d’amélioration puisse fonctionner pleinement. Il peut parfois être difficile dans nos organisations occidentales de considérer sincèrement un problème comme une chose qui n’est pas mauvaise. De même, chercher à comprendre une situation et la cause de survenue d’un problème ne veut pas dire que l’on accepte ce problème. La philosophie de Toyota est que les gens font de leur mieux et que les problèmes proviennent du système. La question type à se poser au moment de la survenue d’un problème est très révélatrice de cette philosophie : « qu’est-ce qui empêche les employés de travailler selon le standard et la condition cible ? ».
Pour évoluer vers la condition cible, l’approche de Toyota se résume à cinq questions :
- Quelle est la condition cible ?
- Quelle est la condition actuelle ?
- Quels sont les obstacles qui nous empêchent d’atteindre la condition cible ? Lesquels sont à l’étude en ce moment ?
- Quelle est votre prochaine étape ?
- Quand pouvons-nous venir voir ce que nous avons appris avec cette prochaine étape ?
Cet enchaînement de question donne le motif à répéter à chaque nouveau processus et chaque nouvelle situation. C’est une routine, une habitude qui permet d’apprendre le kata d’amélioration et simplifie le travail des managers et responsables d’équipe. Elle leur donne une méthode de management utilisable pour chaque situation sans avoir à connaître la solution au problème, ce qui serait contre-productif pour le développement du personnel et de l’organisation.
L’apprentissage du kata d’amélioration donne aux managers et responsables d’équipe un moyen efficace pour engager le personnel et leur permettre de gagner en confiance et sérénité face à l’imprévu car ils apprennent une méthode pour y faire face. Une des clés pour le manager est de ne pas fournir de solution aux problèmes et d’assumer le fait de ne pas les connaître face au groupe.
Le kata d’amélioration de Toyota implique d’apprendre au personnel une méthode standardisée pour faire face à l’imprévu. A force d’habitude et d’application du kata d’amélioration, le personnel voit toute nouvelle situation, problème, ou idée venant d’ailleurs comme une potentielle source d’amélioration. C’est une des principales forces de Toyota et une des raisons de son succès dans le temps.
L’amélioration continue et l’acceptation du changement sont des points faibles de nombreuses entreprises dont le management de la performance repose uniquement sur le reporting, les décisions basées sur le retour sur investissement et la mise en place de bonus et de schéma de participation et d’intéressement comme unique moyen de motivation de ses salariés. De nombreux managers se déconnectent des réalités du terrain et prennent des décisions à partir d’indicateurs qui ne sont que des abstractions de la réalité. Ces données arrivent bien trop tard et conduisent souvent à de mauvaises interprétations et ne permettent pas de voir les problèmes avant qu’ils ne soient devenus gros et complexes.
Les responsables d’équipe et managers chez Toyota ne se réfèrent pas aux reporting pour comprendre la situation. Ils apprennent à systématiquement aller voir la situation directement où elle se situe. A Toyota il existe bien sûr des tableaux de bord, des indicateurs et des graphiques : ils sont directement visibles près des postes de travail et les managers doivent aller vers le processus pour les consulter.
Retrouver notre synthèse : Empowerment et amélioration continue
Quatrième Partie – Le Kata de Coaching : Comment Toyota Enseigne le kata d’amélioration.
L’étude du kata d’amélioration de Toyota soulève plusieurs questions. La quatrième partie a pour but d’expliquer comment Toyota développe et maintient le comportement et l’habitude du kata d’amélioration au sein de son organisation.
Qui est en charge de l’amélioration à Toyota ?
Une des fausses affirmations concernant le modèle Toyota est qu’il serait un système autogéré et que l’amélioration continue est pilotée au sein d’équipes autonomes par les employés qui réaliseraient eux-mêmes les améliorations de leur processus. Ce n’est pas du tout de cette manière que Toyota appréhende l’amélioration continue pour deux raisons. Tout d’abord il semble injuste de demander aux opérateurs à la fois de réaliser leur travail tout en gérant les problèmes qui peuvent survenir. Deuxièmement car ils sont pour beaucoup d’entres-eux au début de leur apprentissage du kata d’amélioration et de la résolution de problème.
L’engagement et l’empowerment des employés est un facteur clé de succès selon Toyota et se réalise par l’enseignement du kata d’amélioration. Le kata d’amélioration est incorporé au sein de chaque processus et à chaque poste de travail. Il y a deux catégories d’activités d’amélioration à Toyota. L’amélioration continue volontaire et réalisée par des employés au sein de cercle qualités et par le biais de suggestions d’amélioration, et l’amélioration réalisée par les responsables d’équipe et les managers comme partie intégrante de leur fonction. Ce sont les responsables d’équipes, superviseurs, managers et ingénieurs de différents niveaux hiérarchiques qui appliquent et font appliquer les principes du kata d’amélioration au niveau des processus opérationnels. L’amélioration continue représente plus de cinquante pour cents de leur temps de travail et constitue leur principal outil de management.
Les employés sont impliqués dans cette amélioration continue, mais il est de la responsabilité des responsables d’équipe d’encourager l’amélioration en favorisant la suggestion d’idées d’amélioration par les employés. En retour, l’initiative et la capacité à améliorer démontrée par les employés est un des principaux moyens de leur promotion.
Deux points sont importants pour gérer les problèmes au sens de Toyota. Premièrement, la réponse à une anomalie doit être immédiate pour que les éléments d’analyse soient encore « chauds » et permettent une analyse plus précise et plus facile de la situation et des causes. Deuxièmement, la réponse à une anomalie ne doit pas venir des opérateurs car ils sont concentrés sur leur standard de travail et à maintenir les conditions cibles de leurs processus (quantités, délais, etc.). S’ils doivent eux-mêmes résoudre les anomalies, leur objectif sera de rétablir au plus vite des conditions permettant de continuer le travail sans aller au bout de l’analyse, du kata d’amélioration et donc de l’apprentissage. Les opérateurs ne peuvent pas continuer à produire et optimiser l’apprentissage de l’analyse de l’anomalie qui est survenue.
Le responsable d’équipe est le support indispensable dans l’organisation Toyota pour monitorer en permanence la bonne réalisation des conditions cibles et réagir aux anomalies dès qu’elles surviennent. Souvent cette organisation choque car elle augmente le nombre de personnel indirect et apparaît au premier abord comme un coût supplémentaire. En réalité, elle permet à Toyota de dimensionner les équipes au mieux tout en pilotant l’amélioration en temps réel.
Les managers sont des professeurs
Un des premiers objectifs assignés aux managers dans l’organisation Toyota est l’empowerment de leurs équipes et l’augmentation de leurs capacités à appliquer le kata d’amélioration. Les managers travaillent au développement des employés et de leurs équipes qui à leur tour développent et améliorent les processus.
A Toyota, l’amélioration des compétences des employés n’est pas de l’unique responsabilité des Ressources Humaines. Ce développement a lieu chaque jour à chaque poste de travail et sont de la responsabilité directe des chefs d’équipe et des managers. Un des préalables est que les responsables d’équipe et managers soient eux-mêmes expérimentés et à même d’utiliser le kata d’amélioration.
L’enseignement répété du kata d’amélioration à leurs équipes représente plus de cinquante pourcents de l’activité des superviseurs, responsables d’équipes, managers junior et seniors. Leur capacité à développer leurs équipes font partie de leurs objectifs individuels et du calcul de leurs bonus et avantages salariaux.
La méthode d’enseignement et de développement pratiquée par les managers ressemble beaucoup à l’approche d’un coach sportif. L’apprentissage a lieu directement sur le poste de travail en conditions réelles en répétant sans cesse les étapes du kata d’amélioration. La méthode utilisée pour réaliser cet apprentissage existe elle-même sous forme de kata.
Le kata de Coaching est basé sur une relation de mentorat de type mentor/apprenti. Chaque personne à Toyota, même les employés aux plus hauts niveaux hiérarchiques, se développent sous l’aura d’un mentor dans leur approche de cas pratiques. Les relations mentor/apprenti n’ont pas de correspondance avec l’organisation hiérarchique et évoluent en fonction de l’évolution de carrière et des responsabilités.
Par principe, le mentor pose des questions à l’apprenti dans le but de comprendre son niveau de perception du problème et du kata d’amélioration, jamais pour lui suggérer des solutions possibles. Dans cette relation, l’apprenti a pour responsabilité de conduire l’analyse et de proposer les solutions, le mentor a la responsabilité du résultat et se doit d’accepter les solutions proposées par l’apprenti même si d’autres solutions lui paraissent plus efficaces.
S’il ne peut pas émettre d’idées de solutions, le mentor peut être directif sur la manière de conduire le kata d’amélioration et le choix des prochaines étapes. Pour pouvoir comprendre le niveau de résolution de problème atteint par son apprenti il doit le laisser faire de petites erreurs. Il lui est en effet impossible de comprendre son niveau de développement s’il lui dit ce qu’il doit faire.
Cette approche de l’apprentissage du kata d’amélioration est beaucoup plus efficace que les formations traditionnelles qui ne permettent au mieux qu’une sensibilisation. Le mentor permet à l’apprenti à se perfectionner en intervenant sur des cas réels, ce qui augmente sa motivation, son implication et sa responsabilisation. En apparence simple, l’utilisation du questionnement pour enseigner est puissant mais une compétence difficile à acquérir.
Le mentor ne fait pas usage uniquement de questions. Les questions lui permettent de comprendre ce que son apprenti pense, puis il va souvent décider de la prochaine étape. Pour décider de la prochaine étape, le mentor doit avoir une compréhension précise de la situation, si ce n’est pas le cas, son premier réflexe doit être « d’aller voir ».
Un des premiers réflexes que le mentor va s’employer à enseigner à son apprenti est la nécessité d’aller voir, d’observer pour comprendre la situation. L’observation est toujours préférable à l’interrogation car elle permet de collecter des faits et des données et non des interprétations. Autre point d’apprentissage important : il s’emploie à enseigner à son apprenti à ne pas trop vite mettre en place de solution corrective. Au contraire il le pousse à continuer l’analyse de la situation et des causes racines en profondeur jusqu’au point où les solutions s’imposent d’elles-mêmes. Dernier point important, il est préférable de tester plutôt que de débattre. Au lieu de perdre du temps à débattre et à décider de la prochaine étape parmi plusieurs possibles, l’apprenti est invité à choisir une prochaine étape et de procéder à une expérimentation.
Les mentors préconisent des délais très courts pour réaliser les différentes étapes du kata d’amélioration et analyser les résultats lors de réunions très rapides qui ont lieu directement à l’endroit du processus et de l’amélioration.
En guise de support de cette relation de coaching entre mentor et apprenti, il est préconisé de demander à l’apprenti de préparer un écrit résumant les informations à sa disposition. A Toyota, le support écrit utilisé est standardisé sous la forme d’un outil bien connu des praticiens du Lean : le A3. Comme c’est le cas pour de nombreux outils du Lean, son usage a été dévoyé et il est parfois utilisé en déconnexion du kata de coaching. Le but de ce document est d’améliorer la synthèse et la progression de l’analyse en restant concentré sur ce qui est écrit. Une fois complété et signé il devient un outil de suivi efficace en support des revues d’avancement périodiques.
Cinquième Partie – Réplication : Qu’en est-il des autres organisations ?
Comment faire pour reproduire le modèle de Toyota ? Comment développer le réflexe du kata d’amélioration dans votre organisation ? Comment les autres sociétés peuvent développer ces comportements et attitudes ? Comment faire pour déployer l’amélioration pour qu’elle devienne une habitude de chacun, au niveau de chaque processus et chaque poste de travail chaque jour ?
De plus en plus de managers et de praticiens du Lean reconnaissent l’importance de concentrer les efforts sur l’apprentissage de ces nouveaux réflexes et de ces nouvelles habitudes pour créer une nouvelle culture et une nouvelle vision de la résolution de problème et de l’amélioration continue.
L’accent est mis sur le développement, la formation et le coaching en direct sur le lieu de travail. On mise moins sur des projets, des outils et techniques compliquées, et on passe plus de temps directement sur le lieu de l’activité avec les employés à les interroger pour leur permettre de suggérer les améliorations qui vont améliorer les conditions de réalisation de leur travail.
Pour initier ce type de changement et l’adoption du kata d’amélioration et de coaching comme mode de management au quotidien, la première étape est que les managers senior soient eux-mêmes formés et deviennent des praticiens expérimentés du kata d’amélioration en amont des autres employés. Si le senior management ne s’engage pas en premier dans cette voie, il y a peu de chance que les autres managers et employés s’engagent dans cette nouvelle culture.
Afin de pouvoir enseigner le kata d’amélioration au senior management, la tendance est de constituer un groupe précurseur constitué au moins d’un manager senior et dont le rôle est de se familiariser avec le kata d’amélioration, son fonctionnement et son évolution au fur et à mesure de son déploiement. Il ne s’agit pas d’un service à qui l’on confie la démarche d’amélioration qui reste la responsabilité de tous les responsables d’équipe et des managers de l’organisation. L’idéal est de limiter ce groupe à cinq personnes et de lui donner un mentor, par exemple un consultant externe, en faisant attention à ce que ce consultant ne réalise pas le coaching lui-même mais développe les compétences en coaching du groupe.
Le groupe peut alors commencer son apprentissage en choisissant un processus et en cherchant à chaque instant à apprendre le kata d’amélioration et à mieux comprendre les processus, le personnel et l’organisation. Cette première phase peut durer de durer de deux à six mois et est aussi une occasion de repérer et de commencer à apprendre le kata d’amélioration à de futurs coach potentiels.
Il est important de respecter la consigne de phases de coaching rapides dès les premières expérimentations. Les phases de coaching devant se dérouler pendant les plages de travail normales pour pouvoir être réalisées dans les conditions réelles, la durée ne devrait pas dépasser quinze minutes. Le plus simple pour être sûr de ne pas oublier ces phases de coaching est de leur prévoir une plage horaire fixe dans la journée. L’objectif pendant ces quinze minutes est de balayer l’ensemble des cinq questions du kata d’amélioration sur une condition cible à la fois, avec un apprenti unique et de déterminer avec lui la prochaine étape.
Plusieurs obstacles ne manqueront pas de surgir en travers du chemin et viendront challenger la capacité du mentor et de l’apprenti à tirer tout le bénéfice et l’enseignement du kata d’amélioration. Il sera difficile pour certains mentors de ne pas donner de solutions et de jouer le jeu des cinq questions. Il sera d’autant plus difficile pour certains d’accepter la mise en place de solutions autres que celle qui leur vient à l’esprit. Certains managers verront ces périodes de coaching comme du travail en plus et non comme une nouvelle manière de manager. C’est pourquoi il est important de respecter à la lettre la recommandation des quinze minutes, de respecter le standard du kata d’amélioration, d’éviter à tout pris les discussions et les débats et de rapidement décider de la prochaine étape.
Conclusion
Le management selon Toyota apparaît sous une nouvelle lumière. Il envisage le développement de son capital humain sur le long terme et fait des employés le cœur de sa capacité à évoluer, à s’adapter et à s’améliorer constamment. Son approche vise à développer cette capacité d’adaptation en faisant répéter au quotidien et à l’ensemble de ses employés ses routines d’amélioration et de coaching développées en interne. Cette approche qui peut paraître lente de premier abord aux observateurs extérieurs permet finalement à la firme nippone d’atteindre des résultats bien plus ambitieux et profonds que les entreprises qui ont recours à des solutions à plus court-terme. Et l’objectif visé et le résultat atteint n’est pas seulement l’animation du programme d’amélioration continue mais un système complet de management qui donne le pouvoir à chaque employé d’agir pour assurer la pérennité, l’adaptabilité et l’excellence de l’organisation à laquelle il appartient.
Conclusion sur « Toyota Kata » :
Je trouve qu’il y a une part d’inconscient et de mystère au moment ou nous faisons le choix de prendre un livre et de décider d’aller au bout. Le livre « Toyota Kata » est un livre référence, une des bibles qu’un de mes principaux mentors en Lean m’avait conseillé de lire alors que j’étais manager d’une équipe opérationnelle logistique et chef de projet Lean.
Comme la plupart des autres chefs de projets engagés dans le programme de changement, je voyais le Lean principalement comme une boîte à outils. Notre préféré était la VSM alors même que nous ne comprenions pas vraiment tous les fondamentaux du Lean. Aidés par ce consultant externe, nous arrivions tant bien que mal à faire évoluer les flux et les rendre plus Lean. Quand j’y repense maintenant je me dis que ce consultant ne m’avait pas donné cette référence par hasard, et je me dis surtout que si j’avais lu ce livre à l’époque cela m’aurait aidé à de nombreux niveaux.
Il y a finalement très peu d’outils Lean présentés dans ce livre. Les aficionados de la VSM faite dans une salle de réunion loin de la production seront déçus.
Le projecteur est mis sur la partie invisible du modèle de Toyota : comment la firme a réussi depuis plus de cinquante ans à perpétuer le réflexe et la culture d’amélioration, d’adaptation et de changement permanent aussi profondément ? Comment procède-t-elle pour créer ces réflexes d’adaptabilité à tous les niveaux hiérarchiques, et cette capacité de voir sincèrement tout problème comme une opportunité d’amélioration et de coaching ?
Cela part tout d’abord d’un profond et sincère respect des employés et de la considération que leur capacité à s’adapter et à innover constitue la principale richesse de l’entreprise. Puis il y a la présence sur le terrain des responsables d’équipes qui sont les catalyseurs de l’amélioration. Leur rôle est de recueillir les suggestions d’amélioration et de les affiner conjointement avec les employés par un jeu de questions en établissant une relation de type mentor/apprenti. Le responsable d’équipe suit le schéma établi du kata d’amélioration pour faire progresser l’employé dans sa capacité à proposer les prochaines étapes et faire évoluer lui-même son environnement de travail. Ce coaching qui représente l’essence même du management de Toyota se réalise directement à l’endroit des opérations. Cela permet à l’employé et surtout au responsable d’équipe de prendre la vraie mesure des opérations, d’avoir un accès direct aux faits et aux données et de tester directement les améliorations sur place.
Points forts :
- Démystification du Lean
- Le livre redonne toute son importance au Coaching et au Management
- Etude de terrain du modèle Toyota à l’encontre des clichés
- De nombreuses illustrations et exemples
- Une annexe donnant des conseils de déploiement du modèle de Toyota
Points faibles :
Aucun, pour moi le livre référence qui remet l’humain et le coaching au centre de la démarche d’amélioration continue. Livre que je conseille sans modération, en particulier à tous les techniciens du Lean qui en oublient parfois la philosophie première centrée sur le développement des employés.
Ma note : 5 / 5
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… et bon Kata !
Pour en savoir plus sur l’empowerment à la sauce Toyota, lisez cet article : https://selfkaizen.com/empowerment-toyota
Xavier Perrin
•7 ans ago
Excellent résumé de Dimitri d’un livre essentiel pour appréhender d’une autre façon le management. J’aime utiliser l’image du Kyudo, l’art martial japonais du tir à l’arc, pour expliquer que le fait de se concentrer sur la cible est le meilleur moyen de la rater ! à lire ici : http://www.consulting-xp.com/blog/?p=614
Retrouvez des conseils / explications à propos de Toyota Kata ici : http://www-personal.umich.edu/~mrother/Homepage.html
Dimitri
•7 ans ago
Merci Xavier pour ton message et le lien vers ton article et celui du site de Mike Rother